Publié le 12 octobre 2023 Mis à jour le 17 octobre 2023

Jeunesse et études

Hélène Vianney (née Mordkovitch) nait le 12 juillet 1917 à Paris. Ses parents sont des militants révolutionnaires russes ayant quitté leur pays en 1908.

Après s’être engagé dans l’armée française durant la Première Guerre mondiale, son père retourne d’ailleurs en Russie afin de prendre part à la révolution d’octobre et au nouveau régime politique qui s’y met en place. Helene Vianney est donc élevée par sa mère.

Elle effectue une scolarité brillante. En parallèle, elle devient scoute au sein de la Fédération française des éclaireuses. Elle finit par obtenir un baccalauréat scientifique, un certificat de physique-chimie-biologie et poursuit avec des études supérieures en géographie et géologie à la Sorbonne tout en y travaillant comme laborantine.

En 1935, âgée de 18 ans, Hélène Vianney se rapproche du Parti communiste et du syndicat Étudiants socialistes. Elle s’en éloigne néanmoins rapidement, jugeant ces organisations sclérosantes.

Résistance et militantisme

Durant la Seconde Guerre mondiale, elle rejoint la Résistance. Dès 1940, elle participe ainsi à l’accueil des réfugiés de Belgique à Paris ; puis écrit, imprime et distribue des tracts dénonçant l’occupation allemande. Avec Phillipe Vianney — étudiant en philosophie qu’elle rencontre et épouse à cette époque — elle crée le journal clandestin Défense de la France, tiré à 450 000 exemplaires. Elle prend part aussi à d’autres actions, comme le montage d’un atelier de fabrication de faux-papiers.

En 1946, Helene Vianney et son mari contribuent à la création du Centre de Formation des Journalistes (CFJ), initialement destiné à former les jeunes résistants ayant pris part à Défense de la France et souhaitant devenir journaliste. Ensemble, ils participent aussi à la mise en place du Centre de formation internationale (CFI) visant à aider les jeunes résistants à reprendre les études qu’ils ont interrompues durant la guerre et à développer leurs qualités morales et intellectuelles.

Créations des Glénans

En 1947, Helene Vianney et son mari décident de créer une base sur une île déserte de l’archipel des Glénan, en Bretagne, afin de permettre aux jeunes membres du Centre de formation internationale de partir en vacances, de socialiser de nouveau et d’oublier les évènements traumatisants de la guerre.

Afin d’équiper l’île, Phillipe Vianney fait appel aux contacts qu’il a noués durant la Résistance et au sein de l’Assemblée consultative à laquelle il participé en 1944. De cette façon, il récupère notamment plusieurs bateaux à voile appartenant à de centres de formation à la navigation proches du régime de Vichy durant la guerre. Avec l’aide de pécheurs et d’officiers de la marine des environs, Helene Vianney et son mari découvrent alors la navigation en mer — qu’ils n’avaient jamais pratiqué — et la base de repos devient progressivement une école de voile associative, baptisée Centre nautique des Glénans, et couramment appelée Les Glénans.

Véritable cheville ouvrière de l’association, Hélène Vianney en devient secrétaire générale durant une vingtaine d’année, tandis que Phillipe Vianney se consacre essentiellement à son travail dans la presse avec la transformation de Défense de la France en France-Soir et le développement du journal France Observateur, et à ses engagements politiques au sein des instances dirigeantes de plusieurs partis dits de la nouvelle gauche.

Démocratisation de la voile

Rapidement, l’association Les Glénans s’ouvre au-delà du cercle des jeunes ayant participé à la Résistance et cherche à faire découvrir la voile à tous les milieux qui n’y ont pas accès.

Cette volonté de démocratisation de la voile se traduit par la création de stages de formation plus courts et donc mieux adaptés à ceux qui vivent loin de la mer et qui disposent de peu de temps et d’argent pour en profiter. L’association organise également des campagnes d’informations concernant l’offre des Glénans à destination des lycéens et des étudiants. Elle met en place des partenariats avec les organismes sociaux d’entreprise, comme la SNCF, Renault ou l’Arsenal de Brest, mais aussi avec des collèges et lycées techniques, afin d’offrir des stages de voile à des apprentis ouvriers. Elle fait de même avec des écoles primaires afin de faire découvrir la voile à des enfants. Enfin, l’association maintient le plus bas possible le prix de l’adhésion et des formations.

En 1972, constatant que ses stagiaires restent majoritairement issus des classes moyennes et des professions intellectuelles, l’association met en place une commission « Ouverture », pour tenter de mieux connaître les jeunes issus des classes populaires et d’adapter encore mieux l’offre du centre à leurs attentes. Au côté d’Helene Viannay, on y trouve des militants plus encrés dans le mouvement ouvrier et social, tels que Michel Raïevsky, ouvrier passé par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et qui a déjà dirigé un centre nautique associatif à la Frette-sur-Seine dans les années 1960 avec la volonté de démocratiser la pratique de la voile.

Les Glénans veille aussi à ouvrir la voile aux femmes. En 1949, l’association est d’ailleurs expulsée de la première île de l’archipel où elle était installée, car la famille Bolloré qui en était propriétaire a été choquée d’apprendre que les équipages des bateaux étaient mixtes et que les jeunes femmes et les jeunes hommes séjournaient ensemble sur l’île.

Cette politique de démocratisation de la voile est permise par le bénévolat des membres de l’association. Pour la maintenir dans le temps, Les Glénans favorise la transmission du bénévolat en autonomisant rapidement les stagiaires et en les encourageant après une formation sur le tas à encadrer eux-mêmes de nouveaux groupes de débutants.

Cette volonté de populariser la voile est aussi permise par l’invention de solutions matérielles rendant la pratique moins onéreuse. L’association, avec l’aide de différents concepteurs au cours des années met ainsi au point une dizaine de nouveaux modèles de bateaux adaptés à l’enseignement de la voile et de la croisière. Modèles qui sont aussi vendus en kit à des particuliers, ce qui contribue encore à faciliter l’accès à la voile en dehors même de l’association.

Parmi ces bateaux, on peut citer le « Vaurien », conçu par Helene Vianney et son mari, dans leur salon, en 1952, avec l’aide de l’architecte Jean-Jacques Herbulot. Ce dériveur de 4 mètres est construit avec du contreplaqué. Cela permet de diviser par quatre le cout de l’appareil par rapport à ses équivalents de l’époque. 36 000 exemplaires en kit en sont vendus durant les décennies suivantes.

Au-delà des bateaux, d’autres solutions techniques sont trouvées au sein des Glénans, telles que l’utilisation de système d’attache de soutien-gorge pour permettre aux jeunes ne sachant pas faire de nœud d’accrocher leur gilet de sauvetage ; ou comme la « Cadillac », une remorque-amphibie servant au déchargement du ravitaillement sur les îles de l’archipel.

Sur le plan théorique, l’association participe encore à la démocratisation de la voile en publiant le Guide de navigation des Glénans, encore édité aujourd’hui et considéré comme un ouvrage de référence.

Relations avec la Fédération française de yachting et de voile (FFYV)

L’association reçoit dès sa création de nombreux soutiens ainsi que diverses subventions publiques. Elle fait aussi l’objet de critiques au sein du milieu de la voile.

La volonté de démocratiser la voile est en effet mal perçue et Helene Vianney est parfois confrontée aux réactions de notables choqués que tout le monde puisse en faire. De même, la conception du Vaurien — en contreplaqué — est jugée honteuse par la Fédération française de yachting et de voile (FFYV).
Le Centre nautique des Glénans — tout comme d’autres centres qui se sont constitués après-guerre en prenant leurs distances avec toute recherche de performance sportive — doit aussi faire face à la Fédération française de yachting et de voile (FFYV) qui considère que les écoles de navigation doivent avoir pour but principal de préparer aux compétitions sportives et aux régates.

En 1958, Les Glénans s’opposent donc à l’initiative de l’administration de la Jeunesse et des Sports visant à placer toutes les écoles de voile sous l’autorité de la FFYV, de façon à unifier l’enseignement nautique dans le pays. En 1968, Helene Vianney finit même par créer l’Union des écoles de voile (UEV) pour défendre l’approche des sports nautiques prônée par Les Glénans et d’autres clubs du même acabit. L’UEV intègre par la suite la FFYV, mais y conserve une grande autonomie.

Epilogue

Hélène Vianney meurt le 25 décembre 2006 à Paris. Ses cendres sont dispersées au large de l’archipel des Glénans. L’association qu’elle a créée est aujourd’hui l’une des plus importantes écoles de voile d’Europe, accueillant chaque année 14 000 stagiaires environ dans tous les domaines de la voile : croisière, côtière et hauturière, dériveur, catamaran, planche à voile et kitesurf. 450 000 stagiaires y ont été formés depuis 1947. La « Régate des Lillas Blanc », qu’elle a contribué à créer en 1978, ouverte à tous types de voilier, et réunissant amateurs et professionnel de la voile et pécheurs, est toujours organisée chaque année en Côtes-d’Armor.

Sources

Claude Lafabrègue, « Conflits, alliances et négociations autour de la prise en compte des écoles de voile par la fédération nationale de voile (1945-1976) », Sciences sociales et sport, vol. 13, n° 1, 2019, pp. 29-56
Clarisse Feletin, Hélène Viannay : L’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, Éditions Pascal, 2004, 250 p.
Julie Houis, Les Glénans : La passion en partage, Seuil, 2007, 188 p.
Marion Philippe, Coopérer pour développer l’accès des sports de plein air à la jeunesse populaire ? : étude des relations entre les pouvoirs publics et les associations de tourisme sportif (1944-1996), thèse de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, sous la direction de Pierre-Olaf Schut, Université Paris-Est, 2020, 906 p.